Ces derniers jours, la transformation annoncée de la place Jean Jaurès est sur toutes les lèvres. Nous apprenions ce matin dans La Nouvelle République qu’une pétition contre le déplacement des fontaines avait recueilli « près de 3000 signatures » depuis hier. Or, il n’en est rien. Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens en 3 étapes.
Nous savons désormais que la future ligne de tramway se séparera du tracé actuel à hauteur de la place Jean Jaurès pour se diriger vers le boulevard Béranger. Un réaménagement profond de cet espace symbolique est inévitable. La Ville de Tours et la Métropole ont déjà confirmé leur intention de laisser les citoyens s’exprimer à travers un processus de co-construction qui sera mis en place dans les mois à venir. Pour l’heure, la question divise déjà les Tourangeaux et différentes initiatives voient le jour. Parmi elles, la création d’une pétition qui est tout sauf nouvelle. La preuve que manipuler l’opinion n’est parfois pas si compliqué. Décryptage.
Etape 1 : lancer une pétition en faveur de l’option « Jean Royer »
Nous sommes à l’automne 2017. La concertation publique qui s’annonce a pour principal objectif de trancher entre les 2 variantes proposées pour la desserte du centre-ville de Tours. L’une par le boulevard Béranger, l’autre par le boulevard Jean Royer. Très tôt, un commerçant de la rue Giraudeau prend parti pour cette seconde solution. Nous l’avions rencontré à l’époque. Il ne souhaite pas du tramway devant sa boutique et lance une pétition en ligne qui atteint rapidement les 2000 signataires en juin 2018.
La préservation des arbres du boulevard Béranger concentre toutes les attentions. L’insertion proposée – avec la plateforme de tramway ceinturant de part et d’autre le mail – met en danger de nombreux spécimens comme le déplore un rapport commandité par la Ville de Tours. Après une longue période de tergiversations sur fond de campagne électorale, les techniciens revoient leur copie au cours de l’année 2020. Les 2 voies de tram passeront ainsi au nord du boulevard, sur l’espace actuellement réservé à la circulation des voitures et des bus. Le trafic automobile et des stationnements seront maintenus, mais au sud du mail. Soulagement, les platanes centraux sont épargnés.
Etape 2 : tromper ses signataires en modifiant l’objet de la pétition
L’affaire semblait close, mais tout s’accélère dans la journée d’hier. L’initiateur de la pétition croit bon de la renommer en n’hésitant pas à changer son objet sans consulter les plus de 2500 pétitionnaires qui s’étaient engagés en faveur d’un passage par le boulevard Jean Royer. De facto, ils deviennent opposés « à la casse des fontaines et à la coupe des platanes du boulevard Béranger ». Ce qui est un tout autre sujet.
Les internautes se sentant lésés peuvent signaler une violation des politiques sous la section « commentaires » de la pétition.
Dans la mise à jour effectuée à cette occasion, le cuisiniste de la rue Giraudeau affirme sa volonté de se pourvoir en justice et fait appel à la générosité des internautes. Une cagnotte devrait être mise en ligne dans les prochains jours. Pour l’heure, seuls les envois de chèques à son nom sont possibles, et ce, alors qu’une association n’a encore été créée.
Etape 3 : compter sur la presse pour encourager la désinformation
Comme bien souvent, les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la diffusion de ces nouvelles. Nous savons désormais que les fausses informations y circulent jusqu’à 6 fois plus vite que les faits vérifiés. Après quelques partages judicieux sur Facebook, la pétition redevient de nouveau virale, plus de 3 ans après sa création.
Et quoi de mieux qu’un média de référence pour accélérer cette dynamique ? La Nouvelle République s’empresse d’en faire mention dans son édition du jour. Il y est question d’une « pétition lancée hier et ayant déjà recueillie près de 3000 signatures ». 2 informations, 2 informations erronées. Ce n’est qu’à 14h qu’un premier démenti est publié sur le site du journal. Espérons qu’il en sera de même demain dans l’édition papier. Une chose est certaine, une vérification préalable aurait été préférable à un erratum plus que dérangeant.
Quelle que soit la position de chacun sur la transformation annoncée de la place Jean Jaurès, force est de constater que de telles manipulations ne peuvent que nuire à la bonne tenue d’un débat transparent et clair. Nous le déplorons. Ironie du sort, c’est à travers une pétition – pourtant souvent érigée comme symbole de la démocratie – que cette dernière est bafouée. Nous n’en sommes qu’au premier épisode d’un feuilleton qui s’annonce déjà long.
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