Réseau cyclable transitoire : rendez-vous manqué

En cette période de déconfinement, reprendre les transports en commun peut être une source d’angoisse. Bien conscient de ce problème, la métropole a souhaité proposer une alternative efficace aux bus et aux trams : un réseau cyclable transitoire. 60 kilomètres aller-retour de voies dédiées aux cyclistes devaient être aménagés. Qu’est-il réellement advenu de ce projet ? Nous avons enfourché notre vélo pour le savoir. Chronique d’une échappée urbaine pas comme les autres.

Le 11 mai dernier, la France commençait son déconfinement. L’occasion pour de nombreuses villes de faciliter le respect des distanciations physiques en réaménageant l’espace urbain au profit des piétons et des cyclistes. Cette opération d’ampleur mondiale a un nom : l’urbanisme tactique. La métropole tourangelle n’a pas échappé à ce phénomène plein de bon sens sous l’impulsion du Collectif Cycliste 37. En collaboration avec les villes de Tours, Joué-lès-Tours, Chambray-lès-Tours, Saint-Avertin, Saint-Pierre-des-Corps, La Riche et Saint-Cyr-sur-Loire, Tours Métropole Val de Loire promettait d’aménager 60 kilomètres aller-retour de voies cyclables. Ces nouvelles infrastructures devaient permettre de seconder le réseau bus+tram en incitant les personnes à désengorger les transports en commun. Propre, rapide, économique et bon pour la santé, ce mode de déplacement cumule les avantages !

2 niveaux d’intervention

Voilà pour l’idée initiale. Si certains aménagements ont tardé à se concrétiser, nous sommes aujourd’hui plus d’un mois et demi après le début de ce projet. Le temps du premier bilan est donc venu. Les engagements ont-ils été tenus ? Pour le savoir, nous nous sommes mis en selle afin de parcourir les axes promis en mai à des opérations d’aménagements cyclables transitoires. Deux niveaux d’intervention étaient prévus. Le niveau 1 consiste à améliorer la cohabitation en révisant la signalétique. Le second se veut plus complet. Une modification de l’espace doit avoir lieu : élargissement des aménagements existants, récupération d’espace sur les voies circulées ou le stationnement, modification du plan de circulation…

Sur la piste des aménagements jocondiens…

Notre parcours commence non loin du terminus Jean Monnet, au pied de l’imposant E.Leclerc de Joué-lès-Tours. Les mobilités douces semblent être le parent pauvre de cette opération commerciale pourtant flambant neuve. En l’absence de trottoir, les piétons n’ont d’autres choix que de marcher sur le bas-côté de la route de Monts ou sur la bande cyclable. Alors qu’une intervention de niveau 2 était prévue ici, seuls les marquages effacés ont été repeints.

Une situation plus satisfaisante que ce que nous nous apprêtons à découvrir. La traversée de la seconde ville de la métropole est souvent une épreuve pour les cyclistes. Conscient de ce problème, une modification de l’espace était prévue dans la rue des Martyrs entre . Malgré l’importante largeur de cet axe stratégique, rien n’a été fait.

Cap sur Tours !

Il suffirait parfois de peu pour considérablement améliorer les aménagements existants. A ce titre, le cas de l’avenue de Pont Cher est particulièrement explicite : une nouvelle peinture et l’ajout de bollards sécuriserait davantage l’entrée de ville.

Après avoir traversé le Cher, nous longeons cette rivière en suivant le boulevard Louis XI. Un réaménagement de l’espace a été opéré : la bande cyclable a été élargie.

Le réseau cyclable transitoire prévoyait une entrée dans le centre-ville de Tours depuis Joué-lès-Tours par la rue Giraudeau. En dépit de récents travaux de voirie, cette rue de 1,3 kilomètre ne laisse aucune place aux vélos. A l’image de la rue des Martyrs, la modification de l’espace promise n’a pas eu lieu. Les cyclistes doivent se frayer un chemin au milieu d’un trafic automobile souvent dense, tout en prévenant les risques d’emportiérage étant donné les nombreux stationnements de part et d’autre de cet axe.

Nous approchons d’un des points emblématiques de ce nouveau réseau : la rue des Tanneurs. Afin de le rejoindre plus facilement, le boulevard Preuilly devait faire l’objet d’une opération de niveau 2. Aucune réorganisation de l’espace n’est pourtant visible. Les cyclistes se contenteront d’imposants pictogrammes apposés sur la route et n’ayant aucune réelle valeur légale.

Les aménagements de la rue des Tanneurs sont plus imposants. A l’approche de la faculté, les plots de chantier et autres bollards se multiplient. Au point de rendre le réaménagement difficilement compréhensible par les automobilistes et les cyclistes. Pour ces derniers, l’insertion au milieu des ronds-points est des plus difficiles.

La disposition centrale de la piste cyclable en a surpris plus d’un. Une intégration latérale aurait sans doute était plus judicieuse et permettait de limiter les risques de conflits. A l’usage, les résultats sont sans appel : peu de cyclistes l’empruntent. La plupart préfèrent pédaler sur les bords de Loire, au milieu du flot automobile ou sur les trottoirs.

Piétons et cyclistes malmenés

Pour rejoindre Tours Nord à vélo, le pont Wilson est le plus plébiscité. Depuis l’inauguration du tramway, la promenade éponyme offre un magnifique belvédère sur la Loire. Jusqu’à tout récemment, cyclistes et piétons y cohabitaient en toute quiétude. La révision de la signalétique qui a eu lieu a clairement dégradé la situation. Si les vélos bénéficient d’une voie désormais dédiée, les piétons doivent se tasser sur une bande ne dépassant pas les 1,5 mètre. Une hérésie à une époque où la distanciation physique est érigée en maître. Une autre configuration, tout aussi économique, mais plus ambitieuse aurait été souhaitable. La voie voiture, devenue un axe secondaire, aurait pu laisser place à une piste cyclable bidirectionnelle. Les trottoirs situés de chaque côté du pont permettraient aux piétons de flâner en toute quiétude tout en apaisant un lieu emblématique de la ville.

En suivant la plateforme du tramway et après une ascension de l’avenue de la Tranchée, déjà aménagée, nous tournons dans l’avenue Maginot. Tout comme le boulevard Preuilly, des logos vélos ont fait leur apparition sur la chaussée sud -> nord. Mis à part légitimer la présence de cyclistes, qui n’est pas nouvelle, ce type de réalisation n’apporte aucun gain en matière de sécurisation.

La suite de l’avenue est plus satisfaisante, avec une toute nouvelle bande cyclable.

Après cette brève échappée à Tours Nord, nous pénétrons dans l’hyper-centre. Une fois la place Jean Jaurès traversée, une bonne surprise nous attend : un corridor bus/vélo a été créé sur la moitié nord du boulevard Béranger. La qualité de cette infrastructure a été saluée par de nombreux Tourangeaux. Ne reste plus qu’à en réaliser le prolongement jusqu’à la place Saint-Eloi et à le décliner sur la partie sud conformément aux recommandations du Collectif Cycliste 37. Tout le monde y gagnera en rapidité, tant les cyclistes que les utilisateurs des transports en commun !

Nous poursuivrons notre exploration par les rues commerçantes du centre-ville. Aux 4 coins du monde, les piétonnisations se multiplient. A l’exception de la rue de Châteauneuf en fin de semaine et d’une partie de la place du même nom, la ville de Tours semble échapper à cette dynamique. En cette période économiquement difficile, elle serait pourtant la bienvenue pour bon nombre de commerçants.

Contrairement à un préjugé encore trop fréquent, la piétonnisation d’une rue dope l’activité commerciale. Le Céréma a récemment montré que moins d’un quart des automobilistes se rend vers les commerces centraux, préférant bien souvent les grandes surfaces de périphérie. Chez les piétons et les cyclistes, ce taux monte à 64% ! Le succès de la rue Nationale ou de la rue de Bordeaux en sont la parfaite illustration. A ce titre, le cas de la rue des Halles est particulièrement criant. Tandis que les piétons s’entassent sur des trottoirs étroits, les 2 voies voitures restent vides et les quelques stationnements occupent une place importante, rendant la déambulation sur cette artère peu agréable.

Nous continuons notre boucle en redescendant vers le sud. La rue Edouard Vaillant a également connu une intervention de niveau 1. L’ajout de pictogrammes vélo est une technique récurrente dans la mise en place de ce réseau cyclable transitoire. Hélas, quel que soit l’endroit étudié, leur contribution pour améliorer les déplacements en vélo reste nulle.

Un aménagement qualitatif à pérenniser

Durant longtemps, la traversée du Cher par le pont d’Arcole n’avait rien d’une sinécure pour les cyclistes. C’était même un point noir identifié de longue date. Le nouveau réseau vient le résorber de façon brillante. En plus d’avoir un impact modéré sur la circulation automobile, il permet de sécuriser ce point stratégique entre les communes de Tours et de Saint-Avertin. Gageons que cette réussite sera pérennisée à court terme par un aménagement définitif !

Nous tentons à présent de rejoindre Joué-lès-Tours par la route de Saint-Avertin et l’avenue du Grand Sud. 2 pénétrantes en 2×2 voies qui étaient promises à une opération de niveau 2. Une récupération sur les voies circulées semblait ici évidente. Il n’en est rien. Aucune intervention n’a eu lieu.

2 solutions s’offrent aux cyclistes : rouler au milieu d’un trafic dense ou emprunter le trottoir. Nous tentons cette seconde option. Très vite, nous progressons sur des trottoirs non entretenus, jonchés de casseaux de verre, et où l’absence de bateaux laisse présager un aménagement ancien. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous rabattre sur une chaussée, elle aussi dégradée. Il s’agit très clairement du secteur le plus dangereux que nous avons identifié durant cet après-midi. Une opération de sécurisation semble être urgente ici, comme sur toute l’avenue du Grand Sud.

Quel bilan ?

La promesse d’un réseau cyclable transitoire était séduisante sur le papier. Même si nous n’avons pas pu emprunter l’ensemble des axes impliqués dans ce projet, notre parcours de 30 kilomètres nous laisse un goût amer. Alors que de nombreuses villes françaises (Bordeaux, Paris, Marseille, Nice…) se sont engagées avec brio dans cette démarche, la métropole tourangelle peine à s’illustrer par des interventions pertinentes. « Nous payons notre manque d’expertise », déplore un agent métropolitain.

Si le réaménagement du pont d’Arcole et d’une partie du boulevard Béranger sont à saluer, les autres interventions peinent à convaincre. La rue des Tanneurs et le pont Wilson en sont la parfaite illustration. Pire encore, un tiers (10 kilomètres !) de notre parcours n’a pas vu ses installations se concrétiser. Viendront-elles un jour ? Une chose est sûre. Il est déjà trop tard pour qu’elles s’inscrivent dans les nouvelles habitudes post-confinement. En cette période ensoleillée, il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. D’autant plus que le chèque « réparation » de 50€ reste disponible pour la remise en état de son vélo !

Les photos parlent d’elles-mêmes. Le trafic automobile reste conséquent tandis que ces axes voient passer de rares cyclistes. Le report modal tant espéré n’a pas eu lieu. Non pas parce que Tours n’est pas disposé à devenir une ville cyclable, mais parce que les infrastructures qualitatives manquent cruellement. A l’image des transports en commun, prendre son vélo peut-être une source de craintes alors que cela devrait constituer une alternative viable. La crise de la COVID-19 était l’occasion d’affirmer un engagement fort en la matière, c’est un rendez-vous manqué.