Schéma cyclable métropolitain : ce qu’il faut en espérer… et en redouter

La métropole tourangelle s’engage dans le déploiement d’un ambitieux schéma directeur cyclable pour faciliter l’usage du vélo. Les premières réalisations qui viennent d’être achevées sont-elles à la hauteur des annonces ? Nous avons enfourché notre vélo pour aller le vérifier dans 3 communes, avec de bonnes surprises… et de moins bonnes.

Voté par les élus métropolitains le 22 février 2022, le schéma directeur cyclable a pour ambition de proposer des axes sécurisés et adaptés aux modes actifs entre les 22 communes de Tours Métropole Val de Loire. A terme, son objectif est de déployer un réseau structurant de 350 kilomètres. Pour réaliser les 13 itinéraires annoncés, une enveloppe de 180 millions d’euros a déjà été allouée. Aucune échéance n’a cependant été annoncée et nous savons déjà que tout ne sera pas réalisé avant la fin du mandat actuel.

De nombreuses études préparatoires devant être menées, ce n’est qu’aujourd’hui que les premières réalisations commencent à voir le jour. Pour l’heure, elles se limitent aux corridors des itinéraires n°4 (Larçay / Druye) et n°9 (Vouvray / Saint-Etienne-de-Chigny). Il s’agit essentiellement de rénovation d’aménagements cyclables déjà existants ou de travaux d’opportunités liés par exemple à l’intervention de concessionnaires sur des réseaux.

Le schéma directeur cyclable tel qu’il a été voté par les élus métropolitains en février 2022

La métropole passe à côté de son objectif de part modale

Après de longues années d’immobilisme en matière de politique cyclable, les attentes envers ce schéma directeur sont aussi fortes que nombreuses. Ce changement de braquet est donc à saluer. Il participe à faire du vélo du quotidien une réponse viable à nos besoins de mobilité tout en cherchant à lever les freins qui bloquent encore son essor (absence d’aménagements, pression automobile…).

Paradoxalement, cette nouvelle dynamique intervient à une période où Tours Métropole s’apprête à passer à côté de son objectif de 9% de part modale pour 2023. Ce chiffre avait été défini par le Plan de déplacements urbains (PDU) de 2013, mais il reste désespérément bloqué à 4% depuis 15 ans.

Un renforcement de la visibilité du vélo dans l’espace public

Le Collectif Cycliste 37 s’est félicité de l’annonce de ce projet, mais s’est dit rester « vigilant ». A juste titre ? Pour le savoir, nous sommes allés le vérifier sur place en nous rendant à vélo à Chambray-lès-Tours, Saint-Avertin et Saint-Cyr-sur-Loire. Ces 3 communes ont toutes pour point commun de disposer de premières sections déjà achevées.

L’absence d’aménagements conduit encore (trop) souvent à des situations aberrantes, ici avenue de la République à Chambray-lès-Tours

D’emblée, la première impression est clairement positive. Les aménagements fraîchement livrés contribuent à renforcer la visibilité du vélo dans l’espace public. Une situation d’autant plus appréciable que cela est encore loin d’être la règle dans notre territoire. Le renouvellement de la couche de roulement constitue également une vraie avancée. Elle fluidifie et rend plus agréable les déplacements.

Tout est-il pour autant si satisfaisant ? Nous aurions souhaité y répondre par la positive. Hélas, il suffit bien souvent de parcourir quelques mètres pour remarquer de multiples défauts dans leur conception. De quoi en tirer 4 règles d’or.

Règle n°1 : la fonctionnalité des traversées cyclables tu vérifieras

Dans tout aménagement de voirie, les intersections constituent souvent des points noirs tant elles peuvent être complexes à organiser. Les cyclistes et les piétons étant des usagers particulièrement vulnérables face à des véhicules parfois lancés à vive allure, le droit à l’erreur n’est pas permis.

Et pourtant, à Saint-Avertin, certaines traversées de l’avenue du Général de Gaulle semblent avoir été dessinées d’une bien drôle de manière. C’est par exemple le cas de l’intersection sud avec l’avenue de Beaugaillard où la piste cyclable bidirectionnelle se transforme en un franchissement… unidirectionnel ! Il en est de même à proximité de la rue Jules Romains. Outre le risque de multiplier les conflits d’usage, ces manquements dans l’aménagement créent un contexte favorable à de potentielles situations accidentogènes qui pourraient avoir des conséquences dramatiques.

A Saint-Avertin, la piste cyclable bidirectionnelle se transforme à plusieurs endroits en une traversée… unidirectionnelle !

Règle n°2 : la priorité des cyclistes tu généraliseras

Ces marquages créent aussi de la confusion dans l’esprit des automobilistes quant au régime de priorité qui s’applique. Augmentant, là aussi, le risque de collisions. Paradoxalement, au lieu de chercher à réduire cet aléa, le schéma directeur cyclable ne fait que l’amplifier. Du côté de la signalisation cycliste, force est de constater que la priorité n’est quasiment jamais accordée. Pour l’heure, seul un unique stop semble les protéger le long du chemin Blanc à Chambray-lès-Tours.  Une décision étonnante qui va à contrecourant de ce qui s’observe dans les autres métropoles engagées dans la réalisation d’un réseau cyclable.

Le diable se cache souvent dans les détails et, à ce titre, la sémantique employée est souvent riche de sens. Contrairement à ses homologues, la métropole tourangelle ne s’est pas lancée dans le déploiement d’un réseau « express », mais uniquement dans un « schéma directeur ». Il n’est donc nullement ici question de sécuriser les déplacements des cyclistes en les rendant prioritaires et c’est regrettable.

Règle n°3 : à la cohérence des revêtements tu veilleras

Comme si cela n’était pas suffisant, la confusion qui s’opère dans l’esprit des usagers de la route est encore renforcée par des choix de revêtements, disons… arbitraires. Ainsi, à Saint-Avertin, nous retrouvons le même traitement aux intersections que sur certains tronçons – mais pas tous ! – de la piste bidirectionnelle de l’avenue du Général de Gaulle.

Ce revêtement censé matérialiser les traversées a été appliqué à tout un tronçon de l’avenue du Général de Gaulle (Saint-Avertin)

Dans la « métropole des maires », chaque commune a conservé son libre arbitre. Le long des différents itinéraires, aucun revêtement n’est harmonisé. Saint-Cyr-sur-Loire a opté pour une matérialisation foncée des traversées qui s’avère être particulièrement peu visible alors que Chambray-lès-Tours et Saint-Avertin ont misé sur des couleurs beaucoup plus claires. Pour la cohérence, on repassera.

Règle n°4 : les voies vertes tu oublieras

A la lumière de ces éléments, une conclusion préliminaire s’impose. Nos décideurs locaux ne semblent pas encore être entièrement acculturés à la réalisation d’aménagements cyclables tels que nous pourrions les attendre en 2023. C’est-à-dire efficaces, fluides et sécurisés.

La notion même « d’aménagement cyclable » ne semble pas encore être totalement acquise puisque certaines portions qui auraient pu être transformées en pistes cyclables ne sont devenues que de simples voies vertes. Si cette typologie de voirie peut avoir un certain intérêt en zone rurale, elle ne fait que multiplier les risques de conflits d’usage entre les piétons et les cyclistes dans des environnements plus denses.

C’est pourtant cette solution qui a été retenue pour requalifier le chemin Blanc de Chambray-lès-Tours alors qu’il traverse un important quartier résidentiel. Plus inadmissible encore, la voirie flambant neuve du mal nommé « écoquartier » de la Guignardière ne comporte aucune infrastructure cyclable. Cycliste et piétons doivent honteusement se partager un étroit trottoir présenté à la fois comme une voie verte et un sentier de randonnée, mais il est interdit aux cavaliers.

En l’absence de référentiel commun, comment organiser l’avenir ?

Que faut-il conclure de ces premières observations ? Tout d’abord, un constat amer. Tours Métropole Val de Loire n’a pas jugé bon de s’engager dans la rédaction d’un référentiel d’aménagement commun à ses 22 communes. Il s’agit pourtant d’un prérequis nécessaire à tout projet cyclable de cette ampleur et les exemples ne manquent pas. Le CEREMA propose par exemple un large panel de recommandations particulièrement précises qui est de plus en plus suivi par les villes françaises.

Lorsque ce document est absent, chaque municipalité y va de son inventivité et – selon le sérieux qu’elle accorde à la question des déplacements cyclables – propose des infrastructures plus ou moins qualitatives. Le schéma directeur se transforme alors en un patchwork d’aménagements discontinus et incohérents. Ce qui est contraire à ses objectifs initiaux. Cette situation est des plus regrettables quand on sait que la reconfiguration d’une voirie engage souvent la collectivité pour plusieurs décennies. De fait, les premières réalisations sont déjà obsolètes et ne prennent pas en compte le développement à venir de la pratique cyclable sur le territoire.

En raison de son profil mal calibré, ce nouvel aménagement Saint-Cyrien est déjà obsolète

Il ne s’agit encore que d’un début et les réalisations majeures de ce schéma directeur cyclable sont attendues à partir de l’année prochaine, dont un certain nombre à Tours. Elles seront scrutées de près. Il reste à espérer que ces premiers retours d’expérience serviront de leçon pour la suite. Il est encore temps de faire de cette belle initiative un projet fédérateur pour la métropole. Elles sont suffisamment rares pour être prise avec tout le sérieux qu’elles imposent.