Fin des voitures sur le pont Wilson : un « au revoir » aux airs d’adieu

13 août 2020. Voilà une date qui viendra s’ajouter à la chronologie déjà longue de l’histoire du pont Wilson. Depuis ce matin, cet ouvrage emblématique de la ville de Tours est réservé aux circulations douces. Une initiative loin d’être une première en France, mais qui suscite quelques craintes.

Au-delà du symbole, la disparition de la dernière voie automobile sur le pont Wilson vient s’inscrire dans un processus engagé depuis plus de 20 ans pour rendre aux habitants ce fleuron ligérien. Les plus anciens d’entre nous se souviennent du flot incessant d’automobiles, charrié par la Nationale 10, qui rentrait et quittait la ville de Tours par la rue Nationale et l’avenue de la Tranchée. C’était avant l’inauguration de l’autoroute A10 en 1972 et l’effondrement d’avril 1978.

Une redéfinition progressive de l’espace

Quelques années après l’achèvement des travaux de reconstruction et de consolidation en 1982, les 2 voies centrales ont laissé place à un couloir en site propre pour les autobus. En cette fin de XXe siècle, cette décision a permis un gain de temps considérable. Entre le parc de Grandmont et la place de la Tranchée, les véhicules Fil Bleu n’avaient plus à subir les aléas du trafic.

Le pont Wilson en 2010 (archives letramdetours.net)

La situation était encore loin d’être satisfaisante. Les piétons s’entassaient sur des trottoirs étroits et peu accessibles tandis que les cyclistes n’avaient d’autres choix que de progresser au milieu des voitures. Pour remédier à cette situation, il faudra attendre l’arrivée du tramway et l’inauguration de la promenade Wilson en juin 2013. Le dernier bus ayant fait ses adieux au vénérable pont de pierre en janvier 2012, ce sont à présent les rames Alstom qui passent sur l’ouvrage pavoisé à la belle saison. L’ancienne voie voiture sud->nord laissait ainsi place à un lieu de déambulation réservé aux mobilités douces.

Déjà à l’époque, la requalification de la dernière voie voiture était dans les cartons. Les élections municipales de 2014 condamneront temporairement ce dossier. Il faudra finalement attendre l’été 2020 pour qu’il revienne sur le devant de la scène. Entre temps, une nouvelle municipalité et une crise sanitaire sont passées par là. Les modifications opérées en mai dans le cadre du réseau cyclable transitoire n’avaient eu pour seul effet que de dégrader à nouveau le sort des piétons en limitant considérablement leur espace. Nous le déplorions dans notre article du 26 juin dernier.

Juin 2020 : le réseau cyclable transitoire impose un nouveau partage de l’espace

Un nouvel axe apaisé entre la Loire et la gare

In fine, il s’agit de la suggestion que nous formulions à cette occasion qui a été retenue. Dès aujourd’hui, les piétons peuvent se réapproprier pleinement la promenade Wilson qui leur est dédiée. Les cyclistes peuvent quant à eux circuler en toute quiétude sur une piste cyclable bidirectionnelle d’une rare qualité. Bien entendu, rien ne change pour le tramway. Une redistribution de l’espace efficace et qui a le mérite d’être très économique. Pour l’instant présentée comme étant « expérimentale », elle a de grandes chances d’être pérennisée.

Notons que cette mesure s’intègre dans un schéma plus large en faveur des mobilités douces. Il a pour objectif de sécuriser la pratique du vélo entre les bords de Loire et la gare de Tours tout en proposant une alternative à la rue Nationale où la cohabitation est toujours aussi délicate. Dans ce cadre, la signalétique aux abords de la bibliothèque a été revue sur le trottoir partagé. Une séparation entre les piétons et les cyclistes serait souhaitable.

Des pictogrammes ont également fait leur apparition rue Voltaire. Hélas, ils n’apportent aucun gain en matière de sécurisation des trajets. Un acte politique plus fort aurait été le bienvenu ici.

Le cas de la rue Buffon est plus intéressant. Les anciens stationnements ont laissé place à une piste cyclable bidirectionnelle bien dimensionnée. Un effacement des précédents marquages et la matérialisation d’une ligne discontinue entre les 2 voies réservées aux vélos viendraient perfectionner cet aménagement. Dans une ville qui sera bientôt plus connue pour ses plots en plastique que ses jardins, gageons que ces installations temporaires disparaitront rapidement au profit d’une réorganisation plus qualitative et qui mettra l’accent sur le végétal.

Quel impact pour les commerçants ?

Comme la piétonnisation de la rue Nationale et de la partie est du pont Wilson en son temps, chaque annonce consistant à réduire la place de la voiture est reçue avec scepticisme par certains d’entre nous. Ces craintes, parfois légitimes, se concentrent essentiellement sur le sort du dynamisme commercial en centre-ville. Elles font directement écho au principe du « No parking, no business » édicté par l’homme d’affaires Bernardo Trujillo au début des années 1950.

Seulement, 70 ans plus tard, force est de constater que cette règle a pris un sérieux coup de vieux. Elle ne s’est même jamais avérée être exacte. Résumer le succès d’un commerce à son accessibilité routière est extrêmement réducteur. Une étude française menée en 2016 a constaté que 50 à 78% des commerçants, en fonction de leur secteur d’activité, se plaignaient du manque de stationnements. Du côté des consommateurs, ces craintes ne sont pas partagées puisque seulement 20% à 23% d’entre eux en font part. Des taux identiques aux nombres de clients se plaignant des nuisances sonores et des nuisances liées à la circulation.

Alors pourquoi les commerçants tendent-ils à surestimer autant la part de leurs clients venant chez eux en voiture ? Sans doute parce que ceux faisant ce choix ont tendance à se faire davantage entendre et à se plaindre de leurs difficultés à se garer. Chez les voyageurs de transports en commun, les piétons et les cyclistes, cette question ne se pose même pas. De plus, ces derniers tendent à revenir plus souvent et à consommer davantage que les automobilistes, jusqu’à 150€ de plus par mois selon une étude londonienne. La ville de Tours est assez équivoque à ce sujet. Les zones les plus dynamiques sont celles où le trafic automobile est absent : rue Nationale, rue de Bordeaux, Vieux-Tours… Les exemples ne manquent pas.

A la lumière de ces éléments, il est hautement probable que la disparition de la dernière voie du pont Wilson et des stationnements de la rue Buffon n’aient aucun impact. Au contraire, ils pourraient nous encourager à nous déplacer différemment et à soutenir nos commerces locaux.

L’exemple bordelais

Un bilan déjà constaté par d’autres villes ayant fait un choix similaire il y a déjà plusieurs années. L’exemple de Bordeaux est particulièrement équivoque à ce sujet. Après une première expérimentation en 2017, le célèbre pont de pierre qui enjambe la Garonne a définitivement été fermé à la circulation à l’été 2018. Depuis, le nombre de cyclistes a augmenté de 20% et une partie des 7000 véhicules qui empruntaient cet ouvrage ne s’est pas reportée sur les 4 autres ponts de la ville. Preuve d’un report modal réussi.

A Tours, la fréquentation du pont Wilson était bien plus modeste. Seules 4600 voitures traversaient encore la Loire via cet axe, soit 14% du trafic qui entre en ville. A l’instar des Bordelais, les Tourangeaux disposent des 4 ponts routiers concentrés dans un secteur de moins de 5 kilomètres (Saint-Cosme, Napoléon, Mirabeau et A10).

Le suivi de l’évolution du trafic sur chacun de ces ouvrages sera particulièrement intéressant à analyser. Eux seuls permettront de comprendre le réel impact qu’aura eu cette décision qui s’inscrit déjà dans la longue histoire de ce pont emblématique de notre ville. D’ici là, espérons que des animations viendront rendre son âme à ce belvédère sur la Loire. Un écho à peine dissimulé à la tradition des ponts habités qui ont caractérisé notre région jusqu’au début du XVIIIe siècle.

Dans quelques années, qui se souviendra encore que les voitures empruntaient le pont Wilson ?