La Touraine et le vélo : je t’aime… moi non plus

La crise sanitaire a conduit de nombreuses villes à investir massivement dans le développement d’infrastructures cyclables. En plus d’être économique, écologique et bon pour la santé, le vélo s’est affiché comme un complément efficace aux transports en commun en temps de pandémie. En Touraine, les promesses étaient nombreuses. Elles n’ont cependant pas toujours été suivies d’actions concrètes. Enquête.

En ce mardi matin, les voitures font leur grand retour sur le pont Wilson. Une décision qui intervient 9 mois après le début de l’expérimentation consistant à réserver le plus vieux pont de Tours aux modes actifs et au tramway. Un test qui devrait reprendre lors de la réouverture à la circulation du pont Napoléon dans le sens nord-sud le 5 juillet prochain. Un imbroglio du calendrier dénoncé par l’opposition municipale et qui présente une nouvelle fois les piétons et les cyclistes comme une variable d’ajustement de la politique modale tourangelle. Il ne pourrait s’agir que d’une anecdote, mais il est indéniable que cette fermeture temporaire vient fragiliser une mesure extrêmement symbolique. Elle cache aussi un malaise plus profond.

Que devient le réseau cyclable transitoire ?

Si les différents compteurs nous permettent tous de constater une hausse constante de la pratique cyclable malgré une activité économique et sociale fluctuante en raison de la pandémie, cela peut difficilement s’expliquer par la création de nouvelles voies dédiées. Si quelques-unes ont fait leur apparition dans le centre-ville de Tours (rue Buffon, boulevard Heurteloup…), nous demeurons cependant bien loin de l’ambitieux « réseau cyclable transitoire » dévoilé lors du 1er déconfinement. 60 nouveaux kilomètres cyclables devaient être créés ou améliorés à l’échelle de la Métropole. En juin dernier, nous évoquions déjà un rendez-vous manqué.

Rue Buffon, un aménagement cyclable de qualité qui mérite d’être pérennisé et prolongé jusqu’à la Loire

Un constat qui demeure encore d’actualité tant la situation a peu évolué depuis. Rue Giraudeau à Tours, rue des Martyrs à Joué-lès-Tours, rue Paul Vaillant Couturier à Saint-Pierre-des-Corps… La liste des axes n’ayant pas vu leur réaménagement se concrétiser est longue. Aucune commune ne semble y échapper. Le rapport « développement durable 2020 » de la Ville de Tours nous apprend que seulement 31,4 kilomètres de voies transitoires avaient finalement vu le jour dans la Métropole, soit la moitié de ceux promis.

Rue Giraudeau, un axe aussi structurant que dangereux qui attend toujours d’être aménagé

1,2 kilomètre de pistes cyclables créé

Partant de là, faut-il voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Premièrement, il est important de préciser que ce calcul kilométrique est effectué de manière unidirectionnelle. 1 kilomètre de rue amélioré compte donc pour 2 kilomètres d’infrastructures nouvelles. Ensuite, ce même document nous apprend que l’essentiel des interventions (15 kilomètres) relève de la pose de pictogrammes « vélo » au milieu de la route. Rappelons que l’ajout d’un logo au milieu d’une artère, au trafic souvent intense, n’a jamais constitué un aménagement cyclable. Même à Tours.

Ce sont en réalité 2,4 kilomètres, ou plutôt 1,2 kilomètre, de pistes cyclables – configuration dans laquelle les cyclistes sont séparés physiquement du reste du trafic – qui ont été créés. Toutes sur le territoire de Tours, à l’exception du pont d’Arcole à Saint-Avertin. Les bandes cyclables, qui permettent aux cyclistes de disposer d’un espace signalé sur la route sans pour autant être séparé des autres modes, s’en sortent mieux avec 11,2 kilomètres de linéaire matérialisés. Certaines ont permis des avancés sur le plan de la sécurité. C’est notamment le cas de l’avenue André Maginot et du boulevard Charles de Gaulle.

Des aménagements parfois ubuesques

D’autres ont donné lieu à des expérimentations plus ou moins ubuesques qui ont malgré tout fini par être pérennisées. En ce sens, la rue des Tanneurs est un cas emblématique. La bande cyclable, un temps matérialisée par des plots en plastique, a été implantée à l’opposé de là où elle aurait dû être. Un aménagement aux airs d’outre-Manche qui s’avère être particulièrement dangereux lorsqu’il aboutit au rond-point de la Victoire fortement fréquenté. Piétons, cyclistes et automobilistes, tout le monde est dérouté ! Un cas d’école qui n’a pas son pareil et qui résulte clairement d’un manque de volonté.

La rue des Tanneurs et ses nouvelles bandes cyclables

Mais alors, comment expliquer cette situation ? Négligence ? Absence d’une culture « vélo » ? Difficile d’y apporter une réponse tranchée. Une chose est sûre, Tours et sa métropole dispose de tous les atouts pour développer massivement les modes actifs. En 2017, 7% des actifs tourangeaux se déplaçaient déjà en vélo. Un chiffre qui place la ville sur la 5e marche du podium français, devant Nantes et Lyon. Il devrait atteindre les 9% d’ici 2 ans selon le Plan de Déplacements Urbains (PDU).

Lorsque la question est traitée avec sérieux, les effets peuvent être aussi rapides que spectaculaires. Les exemples à travers le monde ne manquent pas. En France, Paris a créé 50 kilomètres de pistes cyclables depuis le premier déconfinement. Résultat, l’usage de la petite reine a augmenté de 70% en 5 mois. En 5 ans, la ville espagnole de Séville a bâti un réseau de 120 kilomètres. La pratique a été multipliée par 5 ans.

Du réseau cyclable transitoire, il restera surtout de belles cartographies…

60% des déplacements font moins de 5 kilomètres

Peu onéreux, rapide, bénéfique pour la santé et notre environnement, tout le monde a à y gagner. Surtout lorsque nous savons que 60% des déplacements quotidiens font moins de 5 kilomètres. Contrairement à l’automobile personnelle, chaque cycliste permet d’économiser à la collectivité 0,37€ de frais de santé chaque kilomètre parcouru, soit entre 2,2 et 6,9 milliards d’euros chaque année en Europe selon une récente étude allemande. Face à la voiture électrique, le vélo est 10 fois plus sobre.

Des résultats qui ne laissent pas indifférents Tours Métropole Val de Loire. Elle s’est engagée dans la création d’un schéma directeur à l’horizon 2026 dans le but de créer des axes métropolitains cyclables. 100 kilomètres devraient ainsi voir le jour d’ici 5 ans. Les travaux du premier axe Saint-Etienne-de-Chigny – Rochecorbon ont commencé en février dernier. Une attention toute particulière devra être accordée à la qualité des aménagements.

Le tronçon achevé le long de la D952 à Fondettes améliore grandement le confort des usagers. Il demeure cependant une voie verte partagée par les piétons et les cyclistes. Une situation source de conflits d’usage qui est contraire aux recommandations du Cerema dont la préférence va à des infrastructures distinctes entre ces 2 modes. Notons qu’un référentiel métropolitain devrait bientôt encadrer cela, mais le Collectif Cycliste 37 craint qu’il ne fasse qu’entériner les pratiques actuelles, encore bien loin des standards. Une absence d’ambition qui renforcerait le retard pris par Tours vis-à-vis de ses homologues ligériennes, Nantes en tête.

Les réaménagements de la voirie qu’entrainera la construction de la seconde ligne de tramway à l’horizon 2026 seront également surveillés de près. Comme tout projet de mobilité durable, l’objectif est d’améliorer la cohabitation entre les différents moyens de transport en rééquilibrant progressivement l’espace en faveur des solutions les plus vertueuses. Les premiers plans diffusés en début d’année soulèvent déjà des craintes auxquelles la Métropole n’a pas encore répondu. C’est notamment le cas du boulevard Tonnellé où l’actuelle piste cyclable serait tout simplement supprimée.

La nouvelle voie verte de Fondettes

Le stationnement, un enjeu clé

Si l’aménagement de la voirie est un facteur clé, la problématique du stationnement ne doit pas être mise de côté. L’absence de solutions et la peur de se faire voler son vélo alimentent des craintes qui freinent la pratique au quotidien. Vous le remarquez sans doute, les arceaux se multiplient sur la voirie. Il y en avait 8 252 en 2020, soit 352 de plus qu’en 2019.

Un mobilier urbain indispensable, mais qui n’apporte que peu de réponses sur le plan de la sécurité. Pour cela, des infrastructures plus conséquentes sont nécessaires. Box, abris sécurisés… Les possibilités sont nombreuses. Depuis 2013, Tours Métropole a décidé d’investir massivement dans ces derniers, sans pour autant rencontrer le succès escompté. Alors que le 14e abri vient d’être inauguré à La Riche, ils demeurent désespérément vides malgré des campagnes de communication. Selon les dernières données disponibles, leur fréquentation moyenne journalière oscille entre 0,2 vélo (Monconseil) et 7 vélos (Jean Monnet) malgré des capacités allant de 20 à 52 places. Le futur parking de la gare de Tours, attendu depuis plusieurs années, est porteur de nombreux espoirs, même s’il tarde à venir.

Jusqu’à 75 000€ par abri vélos

Les raisons de cet échec ? Des équipements conçus initialement pour des secteurs où l’intermodalité est pratiquée – la réussite de l’abri de la gare de Saint-Pierre-des-Corps l’illustre – qui ne trouvent pas leur public dans des quartiers résidentiels. Ajoutez à cela un mode de fonctionnement complexe, avec une carte et un abonnement spécifique, et vous comprendrez pourquoi plusieurs centaines de milliers d’euros sont dépensés sans retombées réelles.

Car ces stationnements ont un coût élevé. Même si certains ont été subventionnés jusqu’à 80%, ils sont facturés à la Métropole entre 52 426€ (La Riche) et 75 215€ (Piscine du Lac). Des sommes qui, fléchées en direction des infrastructures, pourraient augmenter beaucoup plus efficacement la part modale de ce mode de transport.

Bientôt des box vélos dans les rues de Tours

Des alternatives plus efficaces existent pourtant. La problématique du stationnement vélo se posant essentiellement dans les centres-villes, là où la place est rare et le bâti ancien, il est envisagé d’installer sur la voie publique de petits box occupant une superficie d’environ 12 mètres carrés et pouvant accueillir 6 vélos. Une promesse de campagne de la municipalité actuelle qui devrait bientôt se concrétiser rue d’Entraigues. Tours rejoindra ainsi les nombreuses villes à avoir fait ce choix : Paris, Poitiers et même tout récemment Bléré !

Vers un apaisement de l’espace public ?

Malgré ce bilan en demi-teinte, il est toujours appréciable de constater que des changements positifs sont en train de s’opérer. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le partage de l’espace entre les différents modes de transport. La chasse aux stationnements gênants a été renforcée au cours de ces derniers mois et mène progressivement à la diminution des situations potentiellement dangereuses pour les usages les plus vulnérables. Une campagne de sensibilisation devrait prochainement voir le jour à ce sujet. De plus, les premières « rues scolaires » font leur apparition aujourd’hui aux abords de 5 établissements.

Des avancées qui ne seront certainement pas suffisantes si elles ne sont pas associées à des mesures fortes. Le contexte actuel conduit les municipalités à innover et à se réinventer. Des villes comme Lille ou Marseille expérimentent actuellement des piétonnisations temporaires afin de redynamiser leurs artères commerciales et jouer la carte de l’apaisement de l’espace public. Pendant ce temps, Tours peine à sortir de sa torpeur habituelle.