A l’horizon 2025, toutes les agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants devront créer une zone à faibles émissions (ZFE). Tours et Joué-lès-Tours sont concernés. Mesure inégalitaire souvent qualifiée de « bombe sociale », elle est décriée jusque dans les rangs de la majorité présidentielle. Pourtant, d’autres solutions existent pour réduire efficacement la pollution en milieu urbain. Nous sommes allés à Gand (Belgique), voir comment fonctionne le plan de circulation instauré depuis 2017. Il a rapidement permis un important report modal de la voiture vers les transports en commun et les modes actifs.
ZFE. Voilà 3 lettres qui n’ont pas fini de faire parler d’elles. Déjà instaurées dans les 13 plus grandes villes françaises, les zones à faibles émissions seront généralisées au 1er janvier 2025 à toutes les aires urbaines de plus de 150 000 habitants. Parmi les 43 communes concernées, Tours et Joué-lès-Tours y figurent. Alors que la pollution de l’air est responsable de 40 000 décès par an, l’Etat souhaite bannir tous les véhicules dotés de vignettes Crit’Air 4 et 5. Une décision globalement mal vécue par la population et critiquée par une large partie de la classe politique. « Cela devrait pénaliser surtout les habitants qui n’ont pas les moyens de s’acheter des véhicules plus récents », déplore Pierre Commandeur, élu de l’opposition à Tours et pourtant soutien de la majorité présidentielle.
Une mesure louable, une mise en œuvre discutable
Difficile de ne pas lui donner raison lorsque l’on sait que les véhicules concernés – les diesels mis en circulation avant le 1er janvier 2006 et les essences antérieurs au 1er janvier 1997 – sont majoritairement possédés par les ménages les plus précaires et résidants en périphérie. Si l’objectif d’une telle mesure est louable, sa mise en œuvre est discutable. Pour l’heure, ni le périmètre de la zone ni les modalités de contrôle n’ont été déterminés. Une première réunion ministérielle s’est pourtant tenue en octobre dernier en présence de Frédéric Augis, président de Tours Métropole et maire de Joué-lès-Tours, et Emmanuel Denis, maire de Tours et nouvellement élu vice-président métropolitain délégué aux mobilités.
D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’elle agisse réellement sur la pollution de l’air en Touraine où les seuils d’alerte sont (trop) souvent atteints. L’économiste et urbaniste Frédéric Héran va plus loin. « L’idée, derrière cette mesure, c’est de sauver l’industrie auto coûte que coûte en la faisant basculer du thermique vers l’électrique à coups d’aides de l’État. Mais en aucun cas on ne réfléchit à d’autres formes de mobilité ». La fabrication de véhicules électriques étant beaucoup plus émettrice que celles de leurs homologues à combustion, l’ADEME insiste sur l’importance de modifier le trafic et n’évoque même pas le recours aux ZFE sur sa page dédiée à la pollution routière.
Gand, une source d’inspiration pour Tours
Avec un réseau de transport en commun performant, un schéma cyclable en préparation, une 2e ligne de tramway en projet et la valorisation d’une étoile ferroviaire dans les cartons, la métropole tourangelle ne manque pas d’atouts pour s’engager dans une autre voie. La Ville de Tours semble l’avoir déjà compris en décidant d’élaborer d’un nouveau plan de circulation. Un groupement composé de 3 cabinets de conseil a été mandaté dès décembre dernier. En mars, il a été à la rencontre des habitants afin d’établir un premier diagnostic à l’occasion des assemblées de Tours. En la matière, une ville fait référence : Gand en Belgique.
Mais qu’a-t-elle de si particulier ? Pour le savoir, nous nous sommes rendus dans cette commune de 265 000 habitants, chef-lieu de la province de la province de Flandre-Orientale. Sitôt sortis de la gare de « Gent-Sint-Pieters », nous ne pouvons qu’être frappés par l’atmosphère si particulière qui semble régner ici. Les piétons et les cyclistes évoluent au cœur d’une grande plateforme intermodale où tramways et autobus cohabitent. Les voitures y circulent également, mais savent se faire discrètes en roulant au pas.
Et pourtant, la ville n’a pas toujours ressemblé à cela. Jusque dans les années 1980, le réseau de tramway a connu une lente érosion. Aujourd’hui, 3 lignes sont en service, contre 9 il y a 100 ans. Dans l’immédiat après-guerre, Gand – comme toutes les villes d’Europe de l’Ouest – a succombé au « tout-automobile ». Conscient des effets délétères d’une telle politique sur la qualité de vie et la pollution, ce n’est réellement qu’à partir des années 1990 qu’elle décide de prendre son destin en main.
Fluidité et sécurité : tout le monde y gagne
A cette époque, un premier plan cyclable articulé autour de 4 axes est conçu. Plusieurs programmes successifs seront ensuite déployés, mais les élus réalisent que modifier les comportements sera long et coûteux. En 2012, la ville décide de se doter de son premier plan de mobilité avec des objectifs ambitieux : passer la part modale de la voiture de 55% à 27% d’ici 2030, et celle du vélo de 22% à 35%. Gand entend ainsi apaiser ses quartiers en contraignant davantage le trafic de transit et ainsi réduire la circulation en centre-ville. Tout le monde est gagnant. Automobilistes et utilisateurs des transports en commun bénéficient de trajets plus fluides et la baisse de la pression routière favorise les modes actifs.
Dès 2015, la voiture ne représentait plus que 46% des déplacements et le vélo culminait déjà à 30%. D’excellents résultats obtenus grâce à la préexistence d’infrastructures cyclables de qualité. Gand fut par exemple la première ville belge à introduire des vélorues à partir de 2011, sur le même modèle que la rue d’Entraigues à Tours. Forte de ces bons chiffres, la municipalité a décidé d’aller plus loin en lançant un plan intégral de mobilité qui concerne à la fois la circulation, le stationnement et les politiques liées à l’espace public. La ville a souhaité s’engager dans un urbanisme dit « tactique » où des préfigurations préparent à de nouveaux usages qui seront ensuite ajustés et pérennisés. Un forum participatif avec un panel représentatif de 150 citoyens est alors mis en place.
Une large partie de la population concernée positivement par ces changements
A l’issue de ce processus de concertation, le « circulatieplan » – tel qu’il est dénommé en flamand – est déployé en moins d’une semaine en avril 2017. Le secteur piéton connaît à cette occasion une extension fulgurante et passe de 35 à 51 hectares. Il est interdit aux cyclistes en journée. Pour les automobilistes, l’hypercentre est divisé en 6 zones « étanches ». Elles sont majoritairement délimitées par des voies routières et des cours d’eau. A l’exception des transports en commun et des véhicules autorisés grâce à une lecture automatisée des plaques d’immatriculation (services de secours…), il devient impossible de passer d’une zone à l’autre. Elles restent cependant toutes accessibles aux conducteurs qui ont réellement besoin d’y accéder. Ces derniers sont accueillis dans de meilleures conditions grâce à un trafic plus fluide et davantage de stationnements disponibles. Les piétons et les cyclistes bénéficient quant à eux d’un avantage concurrentiel en termes de temps de trajet lorsqu’il est question de traverser plusieurs zones.
En à peine un an, le vélo a atteint les 35% de part modale, soit l’objectif initialement fixé pour 2030. Les transports en commun ont quant à eux grimpé à 14%, contre 9% en 2012. Le plan de circulation s’est immédiatement affiché comme la solution la moins onéreuse et la plus visible pour améliorer la qualité de l’air tout en réduisant la pression automobile et la pollution sonore. Son succès tient sans doute dans le fait qu’une large partie de la population est concernée positivement par ces changements. A ses débuts, cette initiative fut pourtant vivement critiquée jusque dans les médias nationaux. Les commerçants craignaient le pire. Si une baisse de 30% de leur chiffre d’affaires a bel et bien été constatée durant les premiers jours du plan, il est quasi immédiatement revenu à la normale. Depuis, de nouvelles activités s’y sont développées. La marche et le vélo favorisent l’essor des commerces de proximité, à mille lieues du dogme du « no parking no business ».
Quand le trafic s’évapore…
Une application fut spécialement créée pour accompagner les citoyens dans cette transition. Au total, 77 rues auront vu leur sens changer et 7 voies se sont retrouvées coupées. La limitation de la vitesse à 30km/h dans toutes les zones a fait qu’il n’était pas nécessaire de réaliser des aménagements cyclables partout. Alors qu’une hausse de la circulation a été logiquement observée sur le périphérique gantois désormais équipé d’une gestion dynamique de la vitesse, il est intéressant de relever que le phénomène d’évaporation du trafic a été particulièrement marqué. La circulation de transit a chuté de 60%, concomitamment aux nombres d’accidents.
40 000 stationnements restent aujourd’hui disponibles, dont 5 000 situés dans des ouvrages bénéficiant eux aussi d’une signalisation dynamique. L’équivalent de 7 000 places a été alloué à d’autres usages : terrasses, emplacements pour vélos, zones végétalisées… 600 stationnements sont à présent dédiés à l’autopartage. Un nombre qui ne cesse de croître en raison du succès rencontré par ce service qui contribue activement à la baisse du taux de motorisation des ménages. Seulement 2 000 personnes y étaient inscrites en 2012. Elles étaient 17 000 dix ans plus tard.
Des quartiers apaisés et une tarification adaptée
L’apaisement du trafic a également eu des effets plus inattendus sur la réappropriation de l’espace public par les habitants. Ils sont désormais nombreux à investir leur trottoir pour y planter quelques fleurs ou y installer un banc qui encourage la cohésion sociale dans leur quartier. Ils disposent à présent de stationnements réservés qui ont été introduits lors de la révision des tarifs. Ces derniers sont dégressifs au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre. A ses abords, 9 parkings-relais ont été ajoutés aux 7 déjà existant pour un total de 2 440 places. La plupart sont gratuites.
6 ans après le lancement de son plan de circulation, Gand en dresse un bilan particulièrement positif. La municipalité œuvre désormais à pérenniser les réaménagements d’espaces publics et à poursuivre le développement de son réseau cyclable qui s’avère maintenant être sous-dimensionné face à l’essor qu’à connu le vélo. Des velléités pour l’étendre au-delà du centre-ville se font même de plus en plus entendre.
Nul doute qu’il constitue une importante source d’inspiration pour Tours. La ville semble l’avoir déjà bien compris. Reste à voir avec les représentants de l’Etat si cette proposition plus efficace et moins stigmatisante pourrait se substituer à une ZFE. Une décision relativement rapide est attendue. Dans moins de 2 ans, Tours et sa métropole devront déjà avoir agi pour améliorer la qualité de l’air sur leur territoire.
Bel exemple que celui de Gand en effet. Ajoutons qu’à ce plan de circulation des lignes de tramway ont été prolongées.
Très intéressant. Comment sont prises en compte les personnes à mobilité réduite ?
Les personnes à mobilité réduite ont été intégrées dès le début de la réflexion préalable au déploiement du plan de circulation. Pour celles se déplaçant en voiture, l’accès au centre-ville leur est toujours possible et des places dédiées sont réservées. Dans la zone piétonne, un « bus piéton » avait été lancé en 2017, mais il n’a pas rencontré le succès espéré. Il a été remplacé l’an dernier par des vélos-taxis particulièrement appréciés par les personnes âgées :
https://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20220510_95719526
Rappelons également que l’ensemble du réseau de transport (bus, tram et train) est adapté aux PMR et que des solutions de déplacement de proximité sont massivement utilisées (tricycles électriques…).