Circulation, tramway et réseau cyclable : Tours dévoile son plan d’apaisement

La Ville de Tours et la Métropole ont dévoilé aujourd’hui leur plan d’apaisement 2024-2025. Grâce à une nouvelle organisation de la circulation routière à Tours, cette planification entend faciliter la réalisation des grands projets de mobilités tels que la 2e ligne de tramway et le réseau cyclable structurant. Principes, gains attendus, calendrier de mise en oeuvre… On vous explique tout.

Promise depuis l’arrivée de la nouvelle municipalité tourangelle en 2020, force est de constater que la « révolution des mobilités » tant annoncée se fait depuis attendre. Le retard pris – notamment avec la 2e ligne de tramway – fait que les réalisations ont été plutôt rares ces derniers temps en matière de transport.

La part du vélo dans les déplacements du quotidien reste par exemple désespérément bloquée à 3 % alors que l’objectif fixé par le plan de déplacement urbain de 2013 était de 8 % pour… 2023 ! Conséquence directe, l’automobile représente encore 52 % des trajets alors que ce taux devait être réduit à 47 %. Comme nous l’esquissions en janvier, les choses pourraient cependant s’accélérer dès cette année.

L’apaisement et la sécurisation des quartiers comme point de départ

La Ville de Tours et Tours Métropole ont en effet dévoilé aujourd’hui un ambitieux plan d’apaisement pour la période 2024-2028. On y trouve en son coeur une refonte importante du plan de circulation de la commune de Tours, pensé en articulation avec les grands chantiers à venir tels que celui de la 2e ligne de tramway, du réseau cyclable structurant et du service express régional métropolitain (SERM).

Outre ces projets majeurs, la forte pression automobile que subissent les riverains de certains secteurs de Tours semble avoir été le point de départ de ce projet. « Chaque semaine, nous recevons en mairie une centaine d’appels, de courriers et de courriels d’habitants à ce sujet », a précisé le maire de Tours, Emmanuel Denis.

Les coeurs de quartier sont les premiers concernés par cette problématique de tranquillité et de sécurité : Febvotte, Lamartine, Monconseil… Les exemples ne manquent pas. Le phénomène se serait aggravé ces dernières années avec le développement des GPS en « temps réel » qui incitent les automobilistes à emprunter des raccourcis dans des rues résidentielles peu adaptées à un trafic important.

Afin d’apporter une réponse concrète à ce problème, la municipalité tourangelle a décidé de faire appel en 2023 aux cabinets spécialisés Artelia et Solcy. Les consultants ont profité des conseils de quartier – désormais baptisés « Assemblées de Tours » – pour inviter les habitants à identifier les zones problématiques. 300 contributions citoyennes ont été recueillies et minutieusement cartographiées.

Les 300 contributions de cette cartographie collaborative recensent les « irritants » liés aux mobilités dans l’espace public

Ce document a permis d’établir un premier diagnostic. Il a ensuite été complété par des campagnes de comptage de la circulation et de visites sur le terrain. Grâce à ce travail, les experts des 2 bureaux d’études en sont parvenus à la conclusion que les principaux responsables de ces maux étaient l’usage de la voiture pour de courtes distances et le trafic de transit. Il est ici question des véhicules qui traversent une ville ou un quartier, mais dont les points de départ et d’arrivée sont situés hors de ceux-ci.

Des principes simples et plus justes que la ZFE

Un nouveau plan de circulation a donc été étudié sur le modèle de celui de Gand. Son objectif premier est de réorienter ce trafic de transit vers des axes dimensionnés en conséquent tels que l’avenue du Danemark ou le boulevard Winston Churchill.

Le principe est simple : toutes les adresses restent accessibles en voiture. Les rues résidentielles et commerçantes seront uniquement réservées à la desserte locale, sur le modèle de ce qui a déjà été mis en place avec la vélorue de la rue d’Entraigues en 2022 et dans le quartier des 2 Lions en 2023.

Il ne sera plus possible de traverser des quartiers résidentiels entiers en voiture sans rien avoir à y faire. Cela restera réalisable à pied, à vélo ou en transport en commun. 3 modes qui gagneront ainsi en attractivité avec un réel avantage concurrentiel en matière de temps de parcours.

Comme cette vue de la rue d’Entraigues en 2028 le suggère, le plan de circulation vise à renforcer l’attractivité de la marche, du vélo et des transports en commun

Cette approche se veut plus juste que les zones à faible émission (ZFE) qui devaient être instaurées à Tours et Joué-lès-Tours dès 2025, avant d’être finalement abandonnée l’an passé. Elles prévoyaient de bannir les véhicules les plus anciens du centre-ville. Or, il s’agit le plus souvent de ceux possédés par les ménages les plus précaires.

Point de différence avec le plan de circulation. Les mêmes règles s’appliquent à tous les habitants. En outre, son déploiement se veut être beaucoup plus léger et économique. Exit les caméras ou les contrôles routiers censés veiller au bon respect de la ZFE, seuls des changements de panneaux, de nouveaux marquages au sol et de bornes – aussi appelées « filtres modaux »- suffisent à rendre opérationnel ce plan.

Dans le cadre du réseau cyclable, un filtre modal sera installé dès cette année boulevard Béranger à l’intersection des rues Marceau et George Sand

Autosolisme, pollutions et report modal : les gains attendus

Une fois mis en oeuvre, les premiers bénéfices du plan de circulation devraient être relativement rapides. Parallèlement à la redirection des flux du trafic de transit vers des voies adaptées, la mesure devrait accélérer la réduction de la part modale de la voiture en ville et la lutte contre l’autosolisme, c’est-à-dire le fait de conduire seul un véhicule. Il s’agit aussi d’accompagner une tendance de fond. « A Tours, 30 à 50% des ménages ne sont pas motorisés et ce chiffre ne cesse d’augmenter », a rappelé Christophe Boulanger, conseiller municipal délégué aux mobilités.

Le potentiel de report modal reste considérable. Dans la métropole tourangelle, la voiture est encore utilisée pour 57% des trajets inférieurs à 3 kilomètres et 44% de ceux inférieurs à 2 kilomètres. Une « évaporation » d’une partie de ce trafic routier un phénomène aujourd’hui largement documenté – vers d’autres solutions de transport est donc à prévoir. Cela soulagera le trafic de transit, dégageant la voie pour les automobilistes ne disposant pas d’autres solutions de déplacement.

La diminution de la place occupée par la voiture devrait également permettre d’obtenir des gains significatifs en matière de lutte contre la pollution sonore, des sols et de l’air. Au sujet de cette dernière, son coût annuel est estimé en France à 100 milliards d’euros minimums. Notre pays est d’ailleurs régulièrement sanctionné pour son inaction.

Selon les élus municipaux et métropolitains, le plan de circulation constituerait un prérequis indispensable pour mener à bien les projets de végétalisation, de rééquilibrage de l’espace public et de pacification des abords des écoles. Il faut dire que les véhicules individuels occupent en moyenne entre 50% et 80% de la voirie.

Ils ont d’ailleurs dévoilé des visuels non contractuels de ce à quoi pourraient ressembler demain des carrefours à l’aspect aujourd’hui très routier : rue Lamartine/boulevard Tonnellé et rues Febvotte/Marat. Au-delà de l’effet d’annonce, reste à voir quand et comment ces transformations s’opéreront.

Un prérequis pour développer le réseau cyclable structurant ?

Une chose est sûre, la métamorphose de l’espace public commencera bien dès cette année. La mise en oeuvre du plan de circulation est en effet articulée sous l’appellation « plan d’apaisement » avec les autres grands projets de mobilité du territoire : la 2e ligne de tramway, le réseau cyclable structurant et le service express régional métropolitain (SERM). La réorganisation du trafic à l’échelle de la ville de Tours serait une condition sine qua non à leur bonne insertion dans l’espace public.

Côté vélo, les premiers aménagements – plus ou moins réussis – du réseau cyclable structurant ont déjà vu le jour dans la métropole tourangelle. Dès la mi-mai, ils commenceront dans le centre-ville de Tours avec des interventions majeures dans la rue Marceau où une piste cyclable bidirectionnelle sera implantée sur la partie ouest. Ils se prolongeront dans les mois à venir dans l’avenue de la Tranchée, de Grammont, la rue George Sand, Auguste Chevallier puis Édouard Vaillant.

Rue Marceau, les cyclistes pourront emprunter une piste cyclable bidirectionnelle sécurisée dès septembre prochain

L’apaisement de la circulation encouragera à coup sûr de nouveaux adeptes de la petite reine à se (re)mettre en scelle. Bon nombre d’entre nous s’y refusent encore à cause de la trop forte pression automobile et de l’insécurité qu’elle génère.

Il en va aussi du bon usage de l’argent public. Nous l’avons vu, le plan de circulation offre la possibilité d’apaiser à moindres frais des quartiers entiers tout en réduisant les risques de conflit d’usage entre les différents utilisateurs de la route. Il n’est donc plus nécessaire d’investir dans des infrastructures lourdes, coûteuses et donc longues à mettre en place pour sécuriser les piétons et les cyclistes.

A l’exception des rues Marceau et Edouard Vaillant, les pistes cyclables séparées de la circulation seront réservées aux axes de transit. Ailleurs, la voirie pacifiée pourra être partagée par toutes et tous sur le modèle de ce qui a été expérimenté avec succès dans la vélorue de la rue d’Entraigues.

« Nos rues sont étroites, donc l’alternative était souvent basique : supprimer de long linéaires de stationnement, ce que nous ne voulions pas, soit apaiser les rues résidentielles de manière à pouvoir faire rouler les vélos de façon sécurisée, sans aménagement séparé »

Christophe Boulanger, conseiller délégué au plan de circulation et de stationnement, aux transports publics, au réseau cyclable de la Ville de Tours

Les élus ont profité de l’annonce du plan d’apaisement pour dévoiler l’identité de ce nouveau réseau cyclable structurant qui s’appellera « Vélival ». Elle a été conçue par l’agence de design tourangelle RCP et commencera à jalonner dès cette fin d’année les 13 itinéraires prévus à terme. D’ici 2026, 7 d’entre eux devraient être achevés.

Dès la fin de l’année, les premiers itinéraires du réseau cyclable structurant seront jalonnés par l’identité visuelle de Vélival

La 2e ligne de tram et le SERM également concernés

En ce qui concerne le tramway, il faudra attendre l’année prochaine pour entendre les premiers coups de pioche retentir. Avant cela, l’enquête devrait démarrer à la rentrée de septembre pour aboutir une déclaration d’utilité publique annoncée pour décembre.

Le plan de circulation rendra possible la cohabitation avec le tramway et les autres modes de déplacement sur le boulevard Jean Royer. Grâce à des tronçons en tête-bêche pour les automobiles, l’artère en aura bientôt fini avec le trafic de transit. Seules les dessertes locales seront conservées.

Boulevard Jean Royer, le plan d’apaisement facilitera l’insertion de la 2e ligne de tramway

L’accélération attendue du report modal bénéficiera également au futur service express régional métropolitain (SERM) qui mise sur un renforcement de l’intermodalité avec la marche, le vélo et l’autopartage à proximité des gares. Il constitue également une alternative particulièrement crédible à la voiture pour les déplacements centre-périphérie.

2024 devrait être une année décisive pour ce projet. Avant de savoir si l’Indre-et-Loire fera partie des candidats lauréats au niveau national, la conférence de financement annoncée pour juin devrait nous en apprendre davantage sur ses modalités économiques.

Un déploiement progressif jusqu’en 2028

La temporalité de ces grands projets de mobilité structurants est intégrée à la mise en oeuvre du plan d’apaisement. Pour cette raison, la municipalité tourangelle a opté pour un déploiement progressif quartier par quartier qui commencera cette année et s’achèvera en 2028 dans l’ordre suivant :

  • 2024 : quartiers Sanitas, Velpeau, Beaujardin et des Douets ;
  • 2025 : Saint-Symphorien (sud), les Tourettes, Paul Bert, Monconseil, Colbert/Cathédrale, Hôtel de Ville, Lamartine est, Rabelais/Tonnellé, Maryse-Bastié et Giraudeau ;
  • 2025-2028 : quartiers Febvotte et Prébendes.
La place de la Liberté changera de visage avec l’arrivée de la 2e ligne tramway à l’horizon 2028

Les travaux annoncés dans le cadre du schéma directeur cyclable et de la 2e ligne de tramway sont vus comme autant d’opportunités pour pérenniser de nouvelles habitudes de déplacement. Encore confidentiels, les détails des modifications de circulation quartier par quartier seront à étudier de près. Pour l’heure, difficile de savoir si cette stratégie s’avèrera être la bonne.

Une première nationale, inspirée de réalisations étrangères

Elle contraste en tout cas avec celle retenue par Gand – souvent cité localement en exemple – qui a préféré instaurer l’intégralité de son plan de circulation en moins d’une semaine. Ce qui n’était pas le cas de Bruxelles qui, avec son projet « Good Move », avait suscité une importante fronde de la part d’une partie de la population au point de forcer les élus à faire marche arrière dans une commune populaire.

A l’échelle nationale, ce plan d’apaisement pourrait bien constituer une première de cette ampleur, bien que des initiatives similaires existent déjà ailleurs. Nous pensons notamment au projet « InspiRe » porté par Clermont Auvergne Métropole dans le cadre de la restructuration du réseau de transport en commun à l’horizon 2027.

Ce programme converge aussi avec les objectifs de certains plans piétons, dont celui de la ville de Strasbourg, et, à l’étranger, avec l’approche des « supermanzanas » barcelonaises. En favorisant une intervention par quartiers, les élus espagnols souhaitent réduire la pollution de 38% et augmenter la végétalisation de l’espace public de 12%. A Tours, il est étonnant qu’aucun objectif de ce type – ni de report modal – n’ait été fixé.

La « révolution des mobilités » aura-t-elle tout de même lieu ? Nous devrions très rapidement mesurer les premiers effets du plan d’apaisement avec le début des travaux du réseau cyclable structurant dès le mois prochain puis la mise en oeuvre à proprement parler du plan de circulation à compter de septembre. Nous vous proposerons d’être aux premières loges pour assister à ces multiples transformations à venir.